Depuis quelques années maintenant, un étrange phénomène a envahi la capitale française, ou plutôt… l’a quittée. Les parisiens, comme appelés par l’appel de la mer, semblent avoir pris bien trop à coeur leur devise: Fluctuat Nec Mergitur. Etant donné que j’ai bac +3 latin (histoire vraie), je peux vous affirmer sans délais que cette phrase signifie « il est battu par les flots, mais ne sombre pas ». On est en plein dans le champ sémantique marin, pas de doute, le parigot se prend pour un Corto Maltese là où on pourrait (à la rigueur) entrapercevoir un Popeye (pour le côté hipster, sans doute). Mais revenons à nos moutons: comment ça, on peut en avoir marre de Paris, avec toutes ses sorties insolites à faire de jour comme de nuit ? Et oui, mais le pire arrive: c’est pour vivre à Bordeaux que le parisien ose trahir son cœur et sa raison d’être. Fait-il bon vivre à Bordeaux ? Qu’est-ce qu’il y a de si attrayant là-bas ? Parce qu’on n’arrive décidément pas à comprendre l’exode parisien vers Bordeaux, on a listé toutes les mauvaises raisons de vivre à Bordeaux histoire d’endiguer ce triste gâchis.
Oh, je sens arriver le contre-exemple de manière imminente: “mais à Bordeaux aussi on a le croissant, ah vous les parisiens vous pensez avoir le monopole de la France entière…” Oui l’ami girondin, mais nous aussi on a des cannelés tu sais. Alors si tu veux jouer à ça, on peut même aller plus loin: le croissant, aux origines, vient de Vienne. Pire: le meilleur croissant 2019 de France serait fabriqué en Bretagne ! Ces deux arguments nous desservent complètement en apparence, mais en attendant on parle pas de cannelés, et les touristes sur leurs tot-bags souvenirs de Paris, c’est quoi qu’ils ont ? La Tour Eiffel, le béret et le croissant. Et ouais, pas de cannelés, alors pourquoi en faire un argument pour vivre à Bordeaux, franchement ?
Certes, à Paris nous avons de nombreux allemands, japonais, américains, italiens… et s’ils pensaient qu’ils faisaient bon vivre à Bordeaux, pourquoi préfèrent-ils aller à Paris, hein ? La mondialisation ne ment pas, les chinois vont se balader à Paris et commandent en ligne le vin de Bordeaux. Le pire dans cette histoire de tourisme, c’est que c’est majoritairement les plus abjectes du monde qui daignent assaillir vos plages et places l’été: le français. Petit, gros, trapu, poilu ou au contraire svelte, élancé et élégant (probablement un parisien, d’ailleurs), ce n’en est pas moins du touriste qui n’est jamais content, pinaille pour rien et boit comme un trou. Alors pourquoi s’entêter à quitter Paris pour vivre à Bordeaux, nom d’une rascasse flamande !
Je t’assure qu’on n’a pas mal recopié le conte de Charles Perrault, La Belle au Bois Dormant. A la rigueur, on peut filer la comparaison en mettant comme protagoniste Horreur à la place d’Aurore, tant la vie nocturne à Bordeaux est ennuyeuse. Tu verras, au bout de ta quinzième soirée huîtres-vin blanc du mois, tu prieras pour retrouver ton bon vieux kebab de quartier. Tu sais, celui qui te demandait “salade, tomates, oignons, champion ?” à 8h du matin quand tu revenais de Dehors Brut. A Bordeaux, c’est terminé, c’est 23h au lit le samedi (même The Voice dure plus tard, c’est dire). Vivre à Bordeaux, l’une des pires décisions que tu puisses prendre, vraiment.
Un parisien en terres parisiennes, ça picole. Souvent du rouge, parfois du mojito, occasionnellement du ginto (quel mensonge infâme, je plaide coupable pour celle-ci). Mais avec notre pinard quotidien qui sent plutôt la piquette qui picote, on apprend à se restreindre ou a directement passer sur une gamme plus russophile du bar, tu vois ? Avec ton Saint-Emilion de malheur, ta boisson produite par Bacchus himself, comment s’arrêter ? Vivre à Bordeaux reviendrait donc à souffrir le martyr quand on dit que ce coup-ci c’est le dernier ? Merci mais non merci, rendez-moi mon Paul Rémy que je m’arrête aux préliminaires de l’apéritif avec dignité.
Si “oublier Brest” relève du pléonasme, “flotter à Bordeaux” aussi. On est poètes chez Toot Sweet, mais pas des Laure Manaudou : si la grisaille parisienne décuple déjà pas mal notre spleen, imagine une fois à Bordeaux ! Déjà que le monde entier colle l’étiquette de morue aux parisiennes (faut dire que le dédain est devenu un art par chez nous), une fois sous l’eau, peu de chance qu’on se change en sirènes. Vivre à Bordeaux revient en effet à crécher dans le 6eme ville la plus pluvieuse de France, tout juste derrière Brest et Limoges, notamment. Alors, prêts à investir dans un joli K-way l’ami ?
Qu’on se le dise, Edi est une des plus-values terriblement chic du Paris Saint-Germain. Petit accent sud-américain, mèches rebelles, sourire ravageurs, frappés plus torrides que le Python de la Fournaise… ahem, vous l’aurez compris, il est le parfait reflet de la population hétéroclite parisienne. Ils ont qui aux Girondins de Bordeaux, alors ? Laurent Koscielny. La belle affaire ! pourquoi diable vivre à Bordeaux dans ces conditions, franchement ?
Vous l’aurez bien compris (on l’espère en tous cas), mais Bordeaux nous fout sacrément les boules à nous, parisiens aigris et heureux de l’être. Mètre carré moins cher qu’à Bagnolet, la plage à côté et on peut y surfer, du vin de fou furieux à proximité (oui, c’est aussi une qualité, d’accord)… Une ville qui plus est jeune et classée deuxième de France en nombre de monuments classés historiques. Oui, mais juste derrière Paris. Cheh.
Par Pauline Jagoury
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